Voyage en cargo : 3 semaines de la Malaisie au Royaume-Uni
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Océan Indien,
publié le
C'est avec deux ans de délai que je termine le récit de mon tour du Monde 2013-2014 avec ce retour en cargo vers l'Europe. Petite honte mais que voulez-vous, la vie c'est comme une boîte de chocolat, on ne sait jamais sur quoi on va tomber. Et on doit s'adapter aux priorités ! Bref, faisons comme si de rien n'était et en voiture Simone !
Chroniques d'un retour avancé
Mars 2014, je suis à Kuala Lumpur en Malaisie, il y fait chaud et humide et c'est la fin de l'aventure. Comme j'ai commencé ce tour du monde, je vais le terminer : en cargo !
A l'origine, je devais rentrer début avril, mais je tourne un peu en rond à KL. Je préfère passer mes journées à l'hostel à bosser sur mes projets devant l'écran plutôt que d'explorer la ville et ses alentours. C'est le syndrome bien connu de beaucoup de nomades et autres tourdumondistes : la fatigue du voyage. Après 10 mois sur les routes à travers le monde et en solo, la perspective d'une soirée devant un film avec sa copine ou ses amis l'emporte sur la volonté de partir encore à l'aventure.
Je décide donc de changer mon cargo de retour et d'en prendre un partant 3 semaines plus tôt (par chance, les cargos dans ce sens-là ne sont pas complets et les frais de modification sont modiques, 50 Euros).
19 mars 2014: embarquement à bord du cargo CMA CGM Magellan
Pour ce dernier cargo, et après être monté sur un MSC, un Hanburg Süd, et un NSB, je décide de prendre la compagnie CMA CGM. La CMA CGM est une compagnie française, basée à Marseille, et le 3ème armateur mondial de transport maritime. Elle est issue de la fusion en 1996 entre la Compagnie Générale Maritime (CGM) et de la Compagnie Maritime d'Affrètement (CMA). Avec un chiffre d'affaires de 16.7 milliards de dollars (en 2014) et une flotte de 465 porte-conteneurs, c'est un poids lourds.
Sur son site, la CMA CGM propose directement le transport de passagers. Je les contacte par ce biais et suis redirigé vers l'agence Tapis Rouge, une agence de voyage positionnée dans le Luxe mais qui aussi (c'est bien caché dans le site web), s'occupe aussi des cargos.
C'est avec cette agence que je décide de faire mon retour en Europe à bord du CMA GMA Magellan de Port Kelang (le port industriel de Kuala Lumpur) à Southampton au Royaume-Uni. Le Magellan fait partie de la French Asia Line 1 (FAL) qui regroupe un ensemble de navires faisant la rotation entre l'Europe et l'Asie en 77 jours.
Le CMA CGM Magellan est le plus gros cargo sur lequel j'ai l'occasion de voyager : construit en 2010, il mesure 365 m de long pour 51 m de large. A pleine charge, il peut embarquer l'équivalent de 13.800 conteneurs de 20 pieds (13.800 TEU). A titre de comparaison, le Bahia Negra que j'avais pris pour traverser le pacifique et qui était de type Panamax (c'est-à-dire ayant les dimension maximales pouvant traverser le Canal de Panama) avait une capacité de 3,752 TEU ! Le CMA CGM Magellan est un monstre.
La veille du départ, je me rends en train de Kuala Lumpur à la ville de Kelang (parfois appelée Klang). J'ai réservé une chambre à l'hotel Premiere, un hôtel 4* avec piscine et belles chambres modernes pour un tarif très abordable. Après un mois dans des hostels au confort variable, je me fais ce petit plaisir. Dans la chambre, il est clairement indiqué que la consommation de Durian est interdite. Le Durian est un fruit tropical, apparemment très prisé en Malaisie, mais qui a la particularité de dégager une odeur immonde. Je n'ai jamais pu me résilier à essayer de le goûter, tant l'odeur de ce fruit est rebutante pour mes narines. Il semblerait que je ne sois pas le seul.
L'organisation pour embarquer le cargo est aux petits oignons et on m'envoie une voiture pour m'amener au port et m'accompagner dans les démarches d'immigration. Une fois arrivé au port, mon chauffeur doit aussi s'occuper d'autres formalités administratives, ce qui prend un peu de temps. On reste environs 2 heures à faire de la paperasse mais je finis par obtenir le tampon de sortie avec la mention du navire qui va m'embarquer.
Puis c'est la partie que je préfère : on m'emmène au quai pour l'embarquement à bord du Magellan. Je découvre alors le navire que je n'avais vu qu'en photos jusqu’alors. Alors oui c'est un beau bébé, très beau même. Malheureusement, les opérations de chargement/déchargement des conteneurs étant en cours, pas le temps de s'arrêter au milieu du quai pour prendre quelques photos.
L'embarquement se fait en montant un petite passerelle de bois, métal et de cordages pour arriver au pont supérieur. Je suis accueilli par un membre d'équipage (Philippin) qui me regarde d'un drôle d'œil. Vu la relative dureté du travail de matelot (travail 7j/7 plus de 10 heures par jour et pendant 9 mois d'affilée) , je comprends qu'il puisse trouver étrange le fait de vouloir voyager sur un cargo alors que l'avion est tellement plus simple. Bref, on m'emmène au bureau du Capitaine. Le capitaine est du Monténégro, ainsi que tout le reste des officiers. Après une rapide introduction on m'emmène à ma cabine sur le deck 6, deck réservé aux passagers. La cabine est grande et lumineuse.
On m'informe des horaires des repas : petit-déjeuner entre 6h30 et 7h30, déjeuner entre 11h30 et 12h30 et dîner entre 17h30 et 18h30. C'est tôt, mais pas plus que sur les autres traversées en cargo. On m'informe aussi que nous devrions larguer les amarres plus tard dans la soirée.
Je déballe mes affaires et prends tranquillement mes quartiers. Vers 18h je descends à la cantine pour prendre mon repas. C'est là que je fais la rencontre de Peter, le deuxième passager de cette traversée.
Un co-passager atypique
Au fil du voyage, j'apprendrai l'histoire assez atypique de cet homme de 79 ans (allant sur ses 80, 3 mois plus tard).
Peter est britannique, originaire de Southampton. Après des études de médecine plus ou moins ratées, il se retrouve désœuvré. Sur les conseils d'une connaissance, il postulera comme assistant infirmier sur des navires de croisière. A l'époque, à Southampton, c'est l'effervescence des croisières transatlantiques et voilà que Peter se retrouve à faire la navette pendant plusieurs années. D'après lui, le job était plutôt simple et consistait principalement à donner des cachets d'aspirine et contre le mal de mer aux passagers.
Après quelques années, il est contraint d'arrêter pour faire son service militaire. Il se retrouve alors un peu par hasard en poste en Chine, qu'il apprécie, et où il s'établit de manière permanente, s'engageant dans l'armée à la suite de son service. Il fera la rencontre d'une chinoise avec laquelle il se mariera et aura 2 filles. La relation de Peter avec sa famille n'a pas semblé toujours facile (il a apparemment rapidement divorcé). Ses filles partirent s'établir en Angleterre alors que lui décida de rester et de prendre sa retraite au fin fond de l'ouest de la Chine où il est volontaire dans une association d'aide au plus démunis.
Il rentre en Angleterre pour voir un peu ses enfants (et maintenant ses petits enfants) et a choisi la voie lente lui rappelant les voyages passés. Il n'est pas encore arrivé en Angleterre "où tout va trop vite" que Peter n'a qu'une envie, retrouver sa Chine rurale et plus sereine.
Voir cet homme de 79 ans sur ce cargo et l'écouter raconter ses expérience de vie au fil des repas pendant 3 semaines a été pour moi une expérience unique et passionnante.
Une traversée en cargo comme on pouvait s'y attendre, sous le rythme du calme et de la lenteur
Comme j'ai déjà eu l'occasion de le relater dans mes articles précédents sur les traversées en cargo, le voyage est à l'opposé des modes de transport modernes. Tout y est plus lent et une personne habituée aux occupations de la vie moderne et citadine pourrait facilement s'y ennuyer. Personnellement, j'adore. Je passe mes journées à me balader sur le bateau, à lire, à regarder des films et surtout à travailler sur l'ancêtre de ce qui est maintenant devenu globetrotte.rs (un site permettant de créer sa carte de voyage, n'hésitez pas à vous inscrire pour créer votre carte).
Les navires sont en général beaucoup plus chargés dans le sens Chine > Europe que dans le sens inverse, mondialisation oblige.
A l'approche de la Mer Rouge, on nous informe du risque que nous encourons à rencontrer des pirates et sur l'attitude à prendre dans ce cas : une alarme retentit et l'on doit s'enfermer dans sa cabine. En cas d'assaut, le cargo dispose d'une "citadelle" où l'ensemble de l'équipage peut s'enfermer et communiquer pour donner l'alerte. Nous ferons une répétition d'alarme mais ne verrons aucun aucun pirate à l’horizon.
26 mars : traversée du Canal de Suez
Aujourd’hui est un grand jour. Après une semaine à travers l'Océan Indien et la Mer Rouge, nous arrivons à Port Suez au matin, prêts pour traverser le plus légendaire canal au monde (après peut-être le Canal de Panama). L'air est chaud et très agréable. La traversée va prendre toute la journée. Contrairement à Panama, il n'y a pas d'écluse. Nous cheminons juste à la queue leu leu en vitesse réduite toute la journée.
Alors que je gambade joyeusement sur le pont principal pour faire des photos, on vient m'informer (une nouvelle fois) que photographier n'est pas autorisé "pour des raisons de sécurité". On me renvoie dans ma chambre, au piquet. Qu'à cela ne tienne, je documenterai le reste de cette journée depuis ma chambre. Na ! L'eau est d'une couleur turquoise magnifique.
Nous passons Port Said dans la soirée, nous sommes dans la Méditerranée ! A ce moment, j'ai clairement l'impression d'être de retour à la maison et que l'aventure touche à sa fin.
1er avril : Visite de la salle des machines
Je dirais que c'est un classique, voire un passage obligé d'un voyage en cargo, même s'il reste à la discrétion de l'équipage: la visite de la salle des machines ! Ce sera ma troisième, mais je reste toujours impressionné par l’immensité de ces machines qui propulsent ce monstre de 150.000 tonnes.
3 avril : Passage du mythique Détroit de Gibraltar et arrivée à Tanger
Après 3 jours en Méditerranée, nous passons le Détroit de Gibraltar. Le passage de ce caillou en soirée est un grand moment.
Puis nous faisons route vers l'unique étape de ce voyage : Tanger. Peu avant l'arrivée au port, les pilotes locaux montent à bord pour manœuvrer notre géant des mers vers le (relativement) petit port de Tanger. Les officiers sont en confiance totale avec les pilotes et me diront qu'ils sont même impressionnés par leur habileté et expérience à piloter le navire dans ces courants et contre-courants entre l'océan Atlantique et la Méditerranée. Nous appareillons tard dans la soirée et les opérations de chargement / déchargement des conteneurs avec leur ballet de camions commencent et prendront toute la nuit ainsi qu'une partie de la matinée.
Nous reprenons la route le 4 avril, plein nord, direction le Royaume-Uni. La traversée du Golfe de Gascogne et de la baie de Biscaye se fait avec de hautes vagues parallèles provoquant un fort roulis. Je suis content de ne pas être sensible au mal de mer. Au contraire, je trouve ce roulis très agréable, comme une berceuse.
7 avril, au petit matin : arrivée chez les British
Nous arrivons à Southampton vers les 5h du matin le 7 avril. Les formalités de douane prennent un peu de temps et nous sommes dehors en milieu de matinée. Je dis au revoir à l'équipage et prends un taxi avec Peter vers la gare ferroviaire. De là, je fais mes adieux à Peter et saute dans le premier train pour Londres. A Londres Waterloo, je prends le "Tube" pour la gare Saint Pancras pour rejoindre l'Eurostar. Je ne connais pas très bien Londres mais venant de si loin avec tout mon bagage d'expériences sur le dos et dans la tête, tout semble si facile ! Je me trouve à Londres comme un poisson dans l'eau. Je prends le premier Eurostar pour Paris. J'arrive en fin d'après midi. J. viens me retrouver en gare du Nord.
Je suis rentré à la maison, pour de bon. Le tour du monde est terminé, pour de bon.
Moi c'est Sylvestre, ou Sly. En 2013-2014 j'ai pris une année sabatique pour effectuer un tour du monde. Ces quelques pages racontent mes péripéties. Si vous voulez lire l'histore depuis le début, ça commence ici !
J'aime les voyages longs et lents. L'objectif de ce tour du monde était donc de ne pas prendre l'avion. Spoiler, j'ai lamentablement échoué ! Mais j'ai tout de même traversé la plupart des océans en cargo.
Ce site n'est plus régulièrement mis à jour, mais vous pouvez toujours me voir sauter aux quatre coins du monde sur Jumping Traveler ou me contacter sur twitter.